Pour la petite histoire, le mot « sargasse » qui aujourd’hui désigne une algue marine, nous vient du mot portugais « sargaço » (ou de l’italien « sargasso » ou de l’espagnol « sargazo »), désignant du cresson en français. Une plante aquatique bien connue en Europe poussant dans les fontaines ou les sources d’eau naturelles et couvrant la surface de l’eau d’un tapis de petites feuilles vertes émergentes et de surcroît comestible.
Par analogie, les marins portugais qui avaient souvent fait allusion à la présence de plantes marines émergeant à la surface de la mer à l’ouest des îles Canaries, avaient surnommé cette zone « La Mar dos Sargaços ». Une expression qui allait s’étendre jusqu’aux îles des Caraïbes après la « découverte » de l’Amérique en 1492 par Christophe Colomb, qui avait alors noté le même phénomène dans cette région du monde.
Un phénomène naturel préoccupant à tous les points de vue
Il existe des dizaines d’espèces de sargasses. Qu’elles soient fixées à un substrat ou dérivantes, comme c’est le cas le plus fréquent en Floride, elles sont maintenues dans les deux cas à la surface ou près de la surface des eaux par des flotteurs sous forme de petites boules remplies d’un gaz produit par l’algue. Ainsi, elles dérivent aux grés des courants circulaires de la « mer des sargasses » située en plein milieu de l’océan Atlantique. S’accrochant ici et là au rivage sablonneux ou rocheux de la Floride et des Caraïbes, elles flottent ensuite sur le bord des plages. Ces amas de sargasses provoquent alors un dérèglement général de l’écosystème et ruinent les économies côtières locales, en particulier dans les Florida Keys, où des efflorescences massives se reproduisent année après année.
Il est notoire que l’année 2022 a été marquée par l’une des pires invasions de sargasses de l’histoire récente, et les impacts potentiels de cette année restent encore à être évalués. La décomposition des sargasses produit du sulfure d’hydrogène et de l’ammoniac, ce qui peut avoir des effets potentiels sur la santé humaine. De plus, des problèmes environnementaux majeurs surviennent quand les sargasses ne sont pas nettoyées en temps opportun, ce qui est fréquent car faire disparaître ces énormes quantités d’algues qui s’accumulent chaque année sur les côtes de la Floride est un véritable défi qu’il faut relever.
La Floride face à un défi économique et écologique de taille
Il est facile de comprendre qu’il est indispensable pour les résidents et les touristes de la Floride, et impératif pour l’économie touristique de l’État, de maintenir des plages propres et saines. Mais comment procéder quand on sait que les sargasses ont un rôle écologique et environnemental qu’il ne faut pas détruire ?
Pour relever ce défi, la Florida Atlantic University’s Harbor Branch Oceanographic Institute, sous l’autorité de James M. Sullivan, Ph.D., directeur exécutif de la FAU Harbor Branch, a reçu une subvention de 1,3 million de dollars du Florida Department of Emergency Management.
Sa mission étant d’étudier et d’évaluer les possibilités permettant de contrôler l’arrivée sur les plages de ces algues brunes.
Une solution à définir qui se heurte au fait qu’actuellement, la récolte des sargasses flottant dans l’eau n’est pas autorisée en raison de leur rôle EFH (Essential Fish Habitat) les qualifiant comme étant non seulement un habitat essentiel pour les poissons et les tortues marines, mais aussi comme un substrat nécessaire pour le frai, la reproduction, l’alimentation et/ou la croissance jusqu’à maturité des poissons et de la faune aquatique en général.
Pour ce faire, l’équipe de chercheurs, sous la direction de Brian Lapointe, Ph.D., chercheur principal et professeur à FAU Harbor Branch, s’est fixée plusieurs étapes à mener.
En premier, étudier depuis les airs les sites de prolifération des sargasses, en utilisant des drones équipés d’une GoPro, et de préciser grâce à des équipements télécommandés, la taille et l’épaisseur des tapis de sargasses. L’objectif étant d’obtenir éventuellement les permis spéciaux délivrés par des agences, telles que la Florida Fish and Wildlife Commission et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), pour avoir le droit de contrôler, voire même éliminer à grande échelle ces zones sans pour autant nuire au développement des animaux marins et autres espèces animales.
De plus, mesurer le pH, l’oxygène dissous, la température, les nutriments dissous et les bactéries fécales sur des échantillons d’eau de mer prélevés sur les sites et ce, afin de mieux comprendre les impacts de ces proliférations de sargasses sur sa qualité. En outre, mener des analyses d’isotopes stables, de métaux lourds et de nutriments tissulaires sur une partie de la faune animale collectée, comprenant des petits poissons, des crevettes des crabes, ainsi que des échantillons de sargasses. Parallèlement, les chercheurs se sont donnés pour mission d’évaluer d’une partles effets écologiques des sargasses sur les plages et dans les zones de transition avec les eaux de l’océan en quantifiant les changements dans la structure de la population, l’abondance et la composition chimique des macro-invertébrés communs des plages, comme les amphipodes, les crabes-taupes, les palourdes coquina et les crabes fantômes. D’autre part, de déterminer à quel moment dans cette zone de transition les sargasses cessent de fournir un habitat (EFH) pour la faune animale. Pour cela, il sera évalué s’il existe une densité ou une distance par rapport au rivage où le tapis de sargasses cesse d’être un habitat fonctionnel et devient un lieu nuisible pour la faune.
Finalement, toutes les données de cette recherche seront partagées avec les co-chercheurs du projet Rachel Brewton, Ph.D., et Matt Ajemian, Ph.D., professeur agrégé et directeur du Fisheries Ecology and Conservation Lab, pour définir s’il est préférable d’éliminer les sargasses quand elles sont dans l’eau plutôt que sur la plage et mieux planifier également la prévention de la formation d’agrégations.
Sources