Plusieurs facteurs ont contribué à la hausse des taux d’intérêt sur le marché obligataire américain. Il y a évidemment eu l’inflation, qui a poussé les investisseurs à demander une compensation pour la perte de valeur engendrée par la hausse des prix. Il y a aussi eu l’effet de la hausse marquée et rapide des taux directeurs et des anticipations sur l’évolution future de la politique monétaire. Toutefois, l’augmentation des taux obligataires au cours des derniers mois est allée au-delà de ces deux facteurs. On a plutôt assisté à une augmentation de la prime du terme qui compense le risque de fluctuations futures des taux d’intérêt.
Parmi les facteurs de risque qui doivent être compensés par une augmentation de la prime du terme, on trouve l’offre de dette publique sur le marché. Une partie de cette offre provient du resserrement quantitatif de la Réserve fédérale. Une autre partie provient évidemment de la situation des finances publiques. On sent d’ailleurs que les investisseurs portent davantage attention à l’ampleur des déficits et de la dette fédérale américaine. Pendant longtemps, il semblait que les déficits n’importaient plus. Ça ne semble plus être le cas maintenant et les investisseurs obligataires se montrent désormais plus vigilants, et ce, non sans raison puisque la situation budgétaire fédérale s’est à nouveau détériorée au cours des 12 derniers mois.
L’exercice budgétaire 2023, qui a pris fin le 30 septembre dernier, s’est conclu avec un déficit officiel de 1 695 G$ US. Il s’agit certes d’une amélioration comparativement aux déficits pandémiques de 3 132 G$ US en 2020 et de 2 776 G$ US en 2021. Toutefois, cela représente une détérioration par rapport aux 1 375 G$ US de 2022. Ces résultats montrent que les États-Unis ont un problème à la fois de dépenses et de revenus.
Si l’on exclut l’effet du renversement de la politique des prêts étudiants, les dépenses ont enregistré une hausse annuelle de 4,1 %. Les difficultés sont encore plus évidentes du côté des revenus. Ceux-ci ont affiché une baisse de 9,3 % lors du dernier exercice. Avec des dépenses en hausse et des revenus en baisse, le gouffre entre les deux se creuse davantage. La dette totale a atteint 33 167 G$ US au 30 septembre 2023.
Le hic, c’est qu’il n’y a pas vraiment de solution facile, d’où le risque pour les investisseurs : la dette, déjà en hausse, ne semble destinée qu’à grimper davantage.
Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici un an, mais pour le moment, il est difficile de croire que les finances publiques seront un véritable enjeu de la prochaine élection présidentielle. Reste à voir si le nouveau brassage des cartes, qui s’effectuera dans un an, permettra de ramener l’état des finances publiques en avant-scène, non seulement pour les investisseurs, mais aussi pour la classe politique ainsi que pour la population en général.
Sans un coup de barre, les taux d’intérêt pourraient demeurer élevés, avec les effets déstabilisateurs que cela comporte.
Dans cet environnement complexe, un facteur constant continue d’influencer nos hypothèses : les taux d’intérêt élevés continueront d’avoir un effet restrictif sur l’économie mondiale. Cela vaut pour les États-Unis, où la réserve d’épargne excédentaire qui soutient les dépenses de consommation est presque épuisée. Si l’on ajoute à cela d’autres pressions telles que des taux d’intérêt réels élevés, la reprise du remboursement des prêts étudiants, le resserrement des conditions de crédit et le ralentissement des embauches, on ne peut pas encore parier trop fortement sur un scénario d’atterrissage en douceur. Nous maintenons notre scénario de base, à savoir une légère récession.
Au Canada et au Québec, le vent semble tourner rapidement. On entre dans la période où les effets du resserrement sont les plus importants, puisque le début du cycle de resserrement date maintenant de plus de 18 mois. La faiblesse de l’économie est indéniable, surtout si l’on considère l’accélération de la croissance démographique : le PIB réel par habitant s’inscrit à -2 % en variation annuelle, en date du deuxième trimestre. En parallèle, le taux de chômage est en hausse depuis le mois de mai, et compte tenu du relâchement des tensions sur le marché du travail, nous prévoyons de nouvelles augmentations.
Si l’on ajoute le frein persistant que constitue l’effet des renouvellements de prêts hypothécaires, nous prévoyons que le Canada entrera dans une légère récession au tournant de l’année. Cela signifie que les taux d’intérêt ne resteront pas élevés pour encore très longtemps. D’ici mars prochain, nous pensons que la Banque du Canada estimera que le processus de rééquilibrage de l’offre et de la demande est suffisamment enraciné pour justifier un certain assouplissement de la politique monétaire. Toutefois, l’objectif d’une inflation à 2 % ne sera probablement pas atteint avant la fin de l’année 2024, ce qui empêchera la Banque du Canada, comme la plupart des banques centrales, d’injecter des mesures de relance monétaire substantielles, comme ce fut le cas lors des précédents ralentissements.
Les coûts d’emprunt plus élevés et les inquiétudes persistantes concernant l’inflation limitant aussi la capacité de la politique budgétaire à soutenir l’économie, il n’y aura que peu d’éléments de relance pour propulser un rebond. Ainsi, bien que la prochaine récession ne sera pas excessivement douloureuse, nous devons tout de même nous attendre à ce que la reprise soit douloureusement lente.